"Qui est antisémite ?" Posée avec perplexité par les journaux américains, la question témoigne de la confusion qui s'est installée dans le débat aux Etats-Unis. Dernier exemple : les remous autour d'un site Internet (www.campus-watch.org), lancé par un spécialiste du Proche-Orient, Daniel Pipes, pour dénoncer "la haine d'Israël" qui régnerait dans les universités.
Ce site épingle 8 professeurs (et 14 universités) coupables de complaisances propalestiniennes. Il recense leurs écrits ou interventions publiques. L'un a signé il y a deux ans une lettre de soutien à l'universitaire américain d'origine palestinienne Edward Said. Un autre a participé à un débat sur les détentions sans jugement d'immigrants musulmans après le 11 septembre. Le site appelle les étudiants à signaler les cours, les conférences et manifestations où s'exercerait ce que la presse appelle "l'antisémitisme de campus".
Daniel Pipes se défend de toute chasse aux sorcières. Historien, diplômé de Harvard, membre d'un groupe de travail du Pentagone sur le terrorisme et la technologie, il a publié un livre qui explique comment l'islam radical rêve de conquérir l'Amérique. Son initiative sur Internet a enflammé la polémique : en une semaine, une centaine d'universitaires ont revendiqué "l'honneur" d'avoir un dossier sur Campus Watch, afin d'y défendre "une vision mieux informée sur l'islam que celle diffusée par les médias". Campus Watch dénonce l'appel au boycottage financier d'Israël lancé dans les universités pour faire pression sur Ariel Sharon. Venu de Berkeley et Princeton, il a gagné 24 campus du pays. 130 professeurs de Harvard s'y sont déclarés favorables (439 ont signé une contre-pétition). Il s'agit de dissuader les universités d'investir dans des compagnies ayant des intérêts en Israël. Les étudiants épluchent les portefeuilles boursiers. Selon leurs calculs, l'université du Michigan possède 150 millions de dollars investis dans des compagnies implantées en Israël et Harvard 614 millions.
Une contre-offensive est en cours. L'American Jewish Committee a publié sur une pleine page du New York Times le nom de plusieurs centaines de présidents d'université dénonçant les pratiques d'"intimidation" et de "haine" dont sont victimes les étudiants juifs ou pro-israéliens. Le président de Harvard, Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, a dénoncé le mouvement de "désinvestissement" boursier. "Des vues profondément anti-israéliennes trouvent de plus en plus de soutien dans les communautés intellectuelles et progressistes, a-t-il dit. Des gens sensés proposent et entreprennent des actions qui sont antisémites dans leurs résultats, sinon dans leurs intentions."